9 mars 2023
Le secret d’une pleine humanité et de la vraie fraternité
Comme les auditeurs qui me suivent le savent, depuis la mi-décembre mes chroniques leur arrivent de Tlemcen en Algérie par le miracle d’internet. Mercredi 1er mars, j’ai regardé avec mes amis La grande Librairie sur France5 qui ce soir-là demandait Quel lien entretient-on avec le vivant ? et recevait des auteurs qui, par leurs mots, défient nos tentations de l'enfermement, de la passivité ou de l'individualisme. Parmi eux Cyril Dion, écrivain, cinéaste et militant écologiste, mais également poète, qui vient de publier chez Actes Sud « Résistances poétiques », issu du spectacle du même nom, créé en 2019 avec le musicien Sébastien Hoog.
A la fin de l’émission, il a lu un texte inédit, dont voici quelques extraits :
« On pourrait dire que la poésie ne peut rien. Ne sert à rien. Tout juste un bel ornement. (…) Que valent les trésors délicats d’Emily Dickinson quand le climat se dérègle, que les forêts brûlent, que l’eau vient à manquer. Rien. Et tout à la fois (…) Car c’est de piétiner la poésie que ce monde est malade. (…) Alors, peut-être que ce que le monde nous disait à bas bruit, et qu’il commence désormais à rugir, c’est que notre salut tient à la poésie.
Tout cela m’a évoqué Le Cantique des Créatures qui nait de l’émotion dont vibre François d’Assise devant la valeur de toute vie, en tant que manifestation de l’amour créateur. Entre lui et la création s’établit un lien profond, fait d’amitié, de respect et de vénération. Cet amour s’étend à toute chose, à tout être. Thomas de Celano, son biographe écrivait : « Il appelait frères et sœurs tous les êtres ; et d’une manière extraordinaire et inconnue aux autres, il savait, grâce à la perspicacité de son cœur, pénétrer jusqu’au plus intime de chaque créature ».
François fraternise donc avec le cosmos. Ce sentiment de dépendance, vécu dans une immense tendresse sereine pour toute chose créée, libère François de tout désir de supériorité et de puissance. Il découvre ainsi le secret d’une pleine humanité et de la vraie fraternité. « Le monde n’est plus à posséder, il est la réalité splendide dans laquelle l’homme est admis à être vivant et à coopérer à la création avec tout ce qui vit » commente le franciscain Éloi Leclerc, décédé en 2016 et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur François. C’est donc à la découverte émerveillée de ce monde que nous invite la fraternité universelle de François.
Dans l’Islam, religion de mes amis, on fraternise avec le cosmos dans le soufisme, qui en est le courant mystique. Le poète Djallal Eddine Roumi en était un représentant éminent. Pour lui la musique était un vecteur qui amenait à cet état d’extinction du corps que François expérimenta aussi et que le soufisme appelle «Fana». En passant dans le bazar, il entendit le son des artisans tapant sur les plateaux de cuivre, il fut pris d'un tourbillon, il voyait les astres tourner, il se mit à tourner autour de lui-même comme les astres, donnant par la suite naissance aux derviches tourneurs. Leur ronde symboliserait celle des planètes autour du soleil et autour d'elles-mêmes. Il y a fraternisation avec le cosmos car le soufi sait qu'il est identique à lui.
Idries Shah présente François comme un mystique novice qui aurait appris le soufisme dans la tente le sultan d’Egypte Malik al-Kamil qu’il rencontra à Damiette, en 1219 avec frère Illuminé. Le sultan admira la foi de ce soufi chrétien.
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