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Le livre de la semaine : Bristol de Jean Echenoz

Le livre de la semaine : Bristol de Jean Echenoz

Un article rédigé par Christophe Mory - RCF, le 12 février 2025 - Modifié le 19 février 2025
L'Actualité littéraireLe livre de la semaine : Bristol, de Jean Echenoz (Éditions de minuit)

La cinéphilie de Jean Echenoz n’est plus à démontrer. Ses romans sont truffés de références, de clins d’œil amusés et souvent gratuits.

Bristol de Jean Echenoz © DrBristol de Jean Echenoz © Dr

Bristol, le titre, est le nom du personnage principal. Ne parlons pas de héros, car il n’a rien d’un type exceptionnel ni estimable ; il n’est rien sinon un cinéaste vivant rue des Eaux dans le XVIème arrondissement de Paris, au 4ème étage.

L'histoire du tournage d'un film

Ce matin-là, un homme nu chute du 5ème étage. Suicide ? Meurtre ? L’appartement est mis sous scellés. C’est ce qui compte pour Robert Bristol, non que son voisin soit mort, mais que l’appartement soit sous scellés. Il faut dire que sa seule préoccupation est le montage financier et le tournage de son prochain film, "L’Or dans le sang" - ce qui est un meilleur titre, vous en conviendrez, que "L’Eau dans le gaz". Il s’agit de l’adaptation d’un roman de Marjorie des Marais, jouée par Céleste Oppen, rôle prévu pour Nadia Saint-Clair.

On assiste aux dernières négociations avec le producteur et les agents des actrices et acteurs, puis au tournage en Afrique. Un grand délire avec : un éléphant qui casse tout un village, un hélicoptère qui lâche le héros pile sur le dos de l’animal, des scènes de fureur, du carnage et des cascades. Quand surviennent des miliciens, des vrais ceux-là, commandés par un certain Parker, plus cinéphile que Bristol lui-même, et qui propose ses soldats pour la figuration. Je cite Echenoz : "La foule de figurants en impose grâce au concours des miliciens, leurs dents luisent avec leur armement, leurs véhicules se détachent bien en reliefs anthracite sur fond de sable pâle et de racines aériennes. Hissés sur leur monture, Céleste et Pasternac se concentrent alors que des tambours tribaux sonnent derrière les cases et que le soleil tombe pile. C’est bon, signale Barabino, on peut y aller. Ça tourne pour moi, déclare l’homme de l’image. Tourne, renvoie l’homme du son en écho. Action, crie Bristol. Envoyez l’éléphant."

Une histoire sans queue ni tête

Quand le film sort en salle, c’est un désastre. Déjà, les critiques se retiraient peu à peu pendant les projections presse. Geneviève, l’assistante de Bristol, se reconvertit en chauffeur de taxi. Céleste Oppen est prise en otage chez les miliciens, Marjorie des Marais vend tout et disparaît, le Commandant Parker s’installe au 4ème étage rue des Eaux, chez Bristol qui a fui.

Ce n’est pas l’histoire qui importe, mais la façon de la raconter qui touche et emporte. On sourit, on rit, on se demande jusqu’où le narrateur nous emmène. Et il nous emmène où il veut dans une désinvolture réjouissante. Écoutez un peu comment il parle d’un coup de foudre entre deux personnages…

"Dans les romans, comme dans les films, ce qu’on appelle un coup de foudre est toujours difficile à représenter. Un professionnel saurait très bien le faire, mais quand on n’est qu’amateur, l’entreprise est décourageante et donc le mieux, dans ce cas, aurait peut-être été de ne rien écrire du tout. Mais bon, nous aurons essayé. Puis, n’exagérons rien : ce n’était peut-être qu’un petit coup d’affect sans lendemain. Comme un électrochoc dont on surévalue le voltage. Parfois, sous des cieux étrangers et des climats extrêmes, il vous prend de ces fièvres aussitôt oubliées. Mais parfois pas. Nous verrons bien."

Un 19ème roman réussi

Echenoz les collectionne, les réussites ! Dix-neuf livres, quatorze prix et pas des moindres, dont le Goncourt en 1999 pour "Je m’en vais". Un roman court, à peine 200 pages, toujours le goût de l’ellipse, de la pirouette et de la légèreté. Les lecteurs les plus rigoureux ne manqueront pas de trouver un goût pour l’Oulipo, cette façon d’écrire sous contrainte pour que l’imagination décolle. Et là, je vous en laisse le mystère, car une deuxième lecture peut être nécessaire pour découvrir les points d’appui qui font de cette galéjade un roman beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît. Alors oui, une réussite totale et une maîtrise de l’écriture pour faire croire à l’extrême légèreté quand tout est faux, invraisemblable et délirant.

Écoutez encore comment le narrateur s’insinue : "Mais alors on sonne de nouveau à la porte, décidément, ça n’arrête pas. Ça n’arrête pas, ça vire à l’artifice, mais nous n’y pouvons rien si cela se déroule ainsi. Puis, après tout, des choses pareilles arrivent aussi dans la vraie vie. Quelqu’un sonne donc encore, mais pas de la manière brutale du commandant Parker. Cette fois, c’est par petits coups discrets, furtifs mais non moins insistants qu’il procède. Bristol se relève et retourne dans l’entrée pour se coller encore à l’œilleton."

Quand on ferme le livre, pas sûr qu’on se souvienne de l’histoire : qu’importe, on a envie de rester avec lui, qu’il nous raconte d’autres histoires, qu’il nous emmène à Nevers ou dans le chaos du périphérique à écouter le journal sur RTL, qu’il abandonne un autostoppeur à Limoges alors qu’il se dirige vers le bassin d’Arcachon. Tout cela n’a aucune importance. N’est-ce pas le triomphe du romancier que de raconter n’importe quoi en nous le faisant vivre ? Ça fait un bien fou ; cette fenêtre ouverte sur l’imaginaire dans la fraîcheur de la légèreté.

Émission L'Actualité littéraire © RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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