
Le livre de la semaine : La Longe, de Sarah Jollien-Fardel
En partenariat avec LA CROIX
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Cette semaine, l'ouvrage de Andreï Makine, Prisonnier du rêve écarlate, est à l'honneur. Ce livre traite du fantasme communiste, ou plutôt de la dystopie que l'idéologie a engendré en URSS.
Vingt-troisième roman sous son nom (il en a publié quatre sous le pseudonyme de Gabriel Osmonde), Andrei Makine a été élu à l’Académie française en 2016. Prix Goncourt 1995, prix Goncourt des lycéens et prix Médicis pour Le Testament français, prix Eeva Joenpelto toujours pour Le Testament français, grande médaille de la francophonie, grand prix RTL-Lire pour La Musique d'une vie, prix Prince-Pierre-de-Monaco pour l'ensemble de son œuvre, prix Lanterna Magica du meilleur roman adaptable à l’écran pour La Femme qui attendait, prix Casanova pour Une femme aimée, prix mondial Cino-Del-Duca, prix des Romancières 2021 pour L'Ami arménien… n’en jetez plus, le triomphe est là. Et avec Prisonnier du Rêve écarlate, Andreï Makine développe encore son imagination, son savoir-faire, son immense talent.
Le Rêve écarlate, c’est l’illusion communiste, car le communisme fut un rêve. Celui de Lucien Baert, né à Douai, ouvrier en 1939, lecteur de Marx et Lénine, militant avec sa fiancée. Ah, les lendemains qui chantent en attendant le Grand soir ! Il s’inscrit à un voyage en URSS rejoignant une délégation d’ouvriers et de syndicalistes. Très vite, il se rend compte de l’envers du décor. Il manque son train de retour. Arrêté pour espionnage, torturé, condamné puis enrôlé dans l’Armée rouge, incarcéré à nouveau, il passe trente ans au Goulag et parvient à s’enfuir usurpant l’identité d’un mort. Désormais, il s’appelle Matveï Bélov.
C'est un roman d'aventures initiatique car notre héros va se transformer au gré des obstacles, des expériences, des événements et des épreuves. Prisonnier de son rêve mais surtout d’une fausse identité, d’un système politique, de procédures policières et judiciaires. Il apprend l’amour à travers trois femmes : Louise, Daria et Julia, la nécessité, la faim, la solitude, le dépassement et le partage. L’initiation pourrait s’achever en pleine toundra dans la plaine balayée par les vents par moins trente. « Il se dit que, dans cette contrée déserte, subsiste le dernier reflet du projet communiste, chez les gens revenus de toutes les illusions et qui trouvent la simple humanité depuis longtemps perdue ailleurs. Les années qui passent ne font que raffermir sa foi ». Vous le sentez, le mot foi est très important.
C’est une des réussites de ce roman que de décrire l’évolution du pays : de Staline à Poutine, du totalitarisme à la mafia : l’arbitraire s’impose toujours dans une relation où la force fait loi. Makine décrit le meilleur et le pire de l’âme russe. Le meilleur se passe dans une isba puis dans un kolkhoze qui se transforme en communauté pacifiée, laborieuse et solidaire. Le pire se développe dans le pouvoir qu’il soit administratif, politique ou mafieux. On assiste aux changements mais il y a cette constante russe que Makine exprime splendidement. Je le cite : « Oui, il a vécu au rythme de l’histoire russe : le communisme et ses mirages, une guerre qui sauva le pays de « l’enfer du paradis soviétique », comme disaient ses amis parisiens… Et, maintenant, « cet opéra bouffe qui, avec une démesure dont la Russie a le secret, met en scène le capitalisme le plus grotesque. »
C’est d’abord un roman, et je dirais un roman russe. Makine ne donne pas de solutions. Il n’y a pas les vilains russe et les gentils occidentaux. La déception de l’Occident, des intellectuels de gauche germanopratins (car notre héros passe par Paris dans des conditions invraisemblables, signant un livre de témoignage sous un pseudonyme, une nouvelle identité donc), la déception est totale. Vous le lirez aussi, une petite pique à Soljenitzine et aux écrivains russes des années 70-80 L’Occident est bavard, tapageur, démonstratif : autre illusion. Il faudra l’amitié d’un vieux monarchiste pour sauver Lucien Baert/Matveï Bélov. Que ce soit la société capitaliste, libérale, communiste, rien ne peut fonctionner comme si toute société débouche sur la société des abus et des excès. Le roman se lit de bout en bout, en un souffle. Un livre qui se dévore.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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