Jusqu'au 13 avril, la galerie Bonnemaison convie qui veut à une plongée dans l’oeuvre singulière de Benoit Jacquemin, plasticien à la main rude, habité par l’expression artistique du matériau brut et par la mise en espace de celui-ci.
Non sans humour et avec une rigueur de bénédictin, Jacquemin nous offre dans cette exposition une véritable sanctification du substrat déchu, présenté ici sans jugement ni hiérarchie, comme si l’Art, dans sa plus pure acception, ne se révélait que dans l'intérêt accordé à ses scories. Il serait alors fâcheux de détourner son regard des intentions qui animent ce fervent styliste, tant elles dissimulent, sous des dehors farouches et parfois kitch, une alchimie raffinée, une dentelle d’idées ourlée dans les replis de la matière. Tel un maréchal-ferrant de l'art contemporain, Jacquemin exhale de ces installations une puissance tellurique, une respiration sourde d'acier galvanisé et de fer, tirée de ce qu’il nomme, avec une gravité toute rurale, le « poids du travail » — cette notion archaïque, enracinée dans un limon champêtre, lentement pétrie de fatigue noble et de gestes rituels. De ces velléités paradoxalement aristocratiques jaillit alors une sublimation du rebus où tout jugement sur la matière première est exempt. Dès lors, l'ancestrale lourdeur s’élève, transmuée en concept pur et sublimée en haute pensée esthétique.
Issu de la construction, cet ancien de La Cambre et lauréat, entre autres, du prix Macors-Médiatine, a pu bénéficier en son temps d’une résidence au sein d’une entreprise de construction, faisant clairement office de dissonance dans le champ de l'art dit "sophistiqué". De ce détour par les entrailles de l'industrie, Jacquemin en a tiré une esthétique où le bois de plaquage et les écrous borgnes deviennent langage et où l’image elle-même s'effiloche aux confins des catégories de l'abstraction.
On découvre alors, chez Bonnemaison, un parcours où s’érigent d’énormes strates abrasives — de vastes bandes à poncer issues d'engins brutaux de l’industrie, découpées méthodiquement, encolées et encadrées dans un modeste MDF noir. Ces ornements, aux allures d’abstractions martiales, dissimulent sous leur placidité un radicalisme intransigeant, d’autant plus troublant qu’il procède de la plus impavide machinerie sans la moindre retouche.
À leurs côtés, d’étranges pastiches — des simulacres de Vasarely au caractère primitif— composés d’un contreplaqué marin et d’une bakélite anthracite maculée d’un rose avarié, presque vulgaire, assemblés en une marqueterie renversée. Non loin des électrozinguages de signalétique routière, hilarants par leur incongruité, se développe une installation dérangeante : la salle de bain de Psychose, transfigurée en un montage de verre collé, hommage fuyant à une cinéphilie simultanément pointue et populaire.
Tandis qu'à l’étage, d’immenses abstractions, conjuguées au brun quelconque du ruban adhésif, orchestrent une rythmique de non-formes, de teintes hésitantes et de supports divisés. Une structure complexe, délibérément aride, mais saupoudrée de cette sincérité que lui confèrent de simples cornières enduites d’un gris anti-rouille.
Et l’on croise encore de vieux clous forgés figés dans une gélatine de paraffine, un expressionnisme abstrait travesti en bois plaqué de nobles essences, parodiant les humbles OSB et - ultime station de ce parcours : un miroir trouble incarné en une surface métallique vissée de lourds écrous, figure terminale d’une radicalité silencieuse.
Ainsi, chez Jacquemin, le beau ne se pavane pas: il est empreint d'une ferveur productiviste où nul fragment ne fait défaut à l'ensemble. À partir de là, l’espace de Bonnemaison, tout en discrétion géométrique, n’amplifie point l'oeuvre, il la positionne à sa juste place. La scénographie, dépouillée de toute emphase, laisse les pièces respirer dans une architecture à la métrique sous-jacente, lieu idéal à leur épanouissement.
En somme, le palais demeure toujours somptueux, étrange et parfait, semblable à un édifice construit dans le rêve d’un maçon spéculatif.
Benoit Jacquemin à la galerie Bonnemaison pour son exposition "Pas de pierre, pas de palais".
Du 28 février au 13 avril 2025, Rue Lambert Dewonck 137, 4432 Ans, Belgique.
Reg'Art, une émission d'Alain Bronckart et Jean-Marc Reichart pour mieux voir et comprendre l'art d'aujourd'hui.
Avec la participation d'Isabelle Simon et Lucien Rama.
Tous les lundis à 18h10, rediffusions le mercredi à 9h03, le jeudi à 21h & le samedi à 22h, sur 1RCF Belgique.
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