Le livre de la semaine : L'Accident de Jean-Paul Kauffmann

Nombreux sont ceux qui se souviennent encore de Jean-Paul Kauffmann, enlevé au Liban, le 22 mai 1985, séquestré pendant 1078 jours avant d’être libéré en mai 1988. L’ex-otage, journaliste dans l’âme, est aussi un écrivain sensible, qui a raconté par bribes son calvaire, mais qui partage aussi ses émerveillements, que ce soit Venise, La lutte avec l’ange de Delacroix à l’église Saint-Sulpice, à Paris, ou les îles Kerguelen… Dans ce nouveau livre, "L'Accident", il revient sur son enfance, à Corps-Nuds, au sud de Rennes, drôle de nom pour un village, mais c’est comme ça. Il évoque la vie rurale, son père boulanger, cette époque durant laquelle les fermiers n’étaient pas encore des agriculteurs. Il y raconte surtout l’accident, un événement dramatique qui donne son titre au livre.

Le drame qui marque son enfance

L’accident a lieu le 2 janvier 1949. Jean-Paul Kauffmann a tout juste cinq ans. Mais le gamin a bien senti qu’il se passait quelque chose qui concernait tout le village. C’était un dimanche. L’équipe de foot rentrait d’un match disputé dans une commune voisine, à bord d’un Dodge, un camion bâché d’après-guerre. Lancé à grande vitesse, il sort de la route, renversant une façade, achevant sa course dans un plan d’eau. Dix-huit morts. « Nous étions le jouet d’une histoire qui nous dépassait » écrit Jean-Paul Kauffmann qui entreprit dès lors de reconstituer les faits. Ce n’est pas le seul sujet du livre, l’accident étant l’occasion de plonger dans les archives et les mémoires, en dressant le portrait des siens, de son enfance, de ses débuts dans le journalisme. Et inévitablement, d’aborder une fois encore l’enlèvement. 

Je crois que nous y voilà ! C’est cet appel lointain de mes toutes premières années qui m’a sauvé dans les prisons du Hezbollah. Je ne l’ai pas compris sur le moment. Pendant la nuit, mon enfance s’introduisait dans mes rêves et remettait en état ce qui s’était détérioré le jour.

Otage du Hezbollah pendant trois ans 

« J’ai toujours eu la conviction que la pente de mon existence dévalait vers cette journée du 22 mai 1985. » Il en parle peu, mais avec une impressionnante densité : 

la mémoire s’applique à ne retenir que la part avantageuse des événements passés. De cette manière, j’ai survécu pendant mes années libanaises. Une partie de ma vie d’otage échappait tout à fait à mes ravisseurs. (…) Dans cette vie réduite demeurait enfoui un appétit de vivre, la force de durer.

Ces pages sont sobres et peu nombreuses, Kauffmann montre en quoi les jeunes années ont pu le façonner, notamment ces années d’enfant de chœur, auprès du curé du village, le père Brionne, ou encore l’abbé Georges Rousseau, celui qui « sentait le soufre et avait eu souvent maille à partir avec ses supérieurs… » Ce dernier, un cousin de la famille, a marqué le jeune Jean-Paul : 

J’avoue que je me reconnais parfois dans ce cousin. Je ne parle ici ni de son humilité ni de son abnégation mais de son refus d’être intégré, son goût pour la liberté, son acquiescement à la vie dans sa totalité, l’approbation joyeuse du monde tel qu’il est.

 Acquiescer à la vie, même quand surgit l’épreuve, ou l’accident.