La violence semble s’être emparée de notre société. Pas un jour ne passe sans qu’un fait divers sordide ne fasse la une de nos journaux. Pas un jour sans qu’un nouvel épisode belliqueux ne vienne déséquilibrer encore un peu notre société. Alors, pourquoi cette violence omniprésente, à tous les niveaux ? Faut-il chercher des coupables ponctuels, des fauteurs de troubles venus d’ailleurs ? Roland Gori, psychanalyste et auteur de Décivilisation : les nouvelles logiques de l’emprise, décrypte ce phénomène.
Dans son ouvrage, Roland Gori appelle à un examen de conscience de notre civilisation en analysant le processus de décivilisation.
Tout au long de sa réflexion, Roland Gori s’appuie sur les écrits du sociologue allemand Norbert Elias. Ce dernier définit le processus de civilisation comme une individualisation des contraintes sociales, qui conduit l’individu à s’autocontrôler et à refouler ses pulsions. "On aboutit à une société des individus où chacun est chargé de s’interdire, d’inhiber, d’autocontrôler ce que, habituellement, les codes sociaux lui imposent. Ils les ont intériorisés."
On aboutit à une société des individus où chacun est chargé de s’interdire, d’inhiber, d’autocontrôler ce que, habituellement, les codes sociaux lui imposent.
Pour Norbert Elias, la civilisation est indissociable des civilités, c’est-à-dire des rituels et des codes sociaux. Le sociologue explique que l’Allemagne du début du XXe siècle était façonnée par une culture du duel et de la violence. À l’inverse, la France et l’Angleterre étaient historiquement des civilisations davantage tournées vers le dialogue. "La France et l'Angleterre, en raison des révolutions et de la prise de pouvoir politique de la bourgeoisie éclairée sur la noblesse, se sont orientées vers une culture du dialogue et du compromis. On retrouve cette approche dans les institutions de transition et dans la pédagogie." Selon Roland Gori, notre société actuelle est devenue génératrice de violence en valorisant la concurrence et la compétition.
Le psychanalyste s’interroge sur l’émergence d’une forme de néofascisme au sein de notre société contemporaine. "Il y a cette idée que la force, et là encore, je citerai Simone Weil, n’est pas seulement un horizon : elle conduit à la cadavérisation du vivant." Le vivant désigne ici l’humain, mais aussi tout ce qui l’entoure. Pour Roland Gori, nous traversons une période de transition politique et culturelle qui engendre une dislocation sociale et une fragmentation politique à l’échelle mondiale. De ces failles émergent à la fois des mouvements d’espoir et de désespoir. "La montée de l’extrême droite, l’augmentation des actes racistes et antisémites ainsi que des violences proviennent justement de ces fractures."
La montée de l’extrême droite, l’augmentation des actes racistes et antisémites ainsi que des violences proviennent justement de ces fractures.
Il analyse ce phénomène comme un retour des extrêmes politiques du XXe siècle que l’on croyait révolus. "Nous avons peut-être trop considéré certains événements historiques comme dépassés. Pourtant, la modernité peut autant favoriser les utopies les plus merveilleuses que les dystopies les plus abominables."
La culture de la violence est alimentée par le flot de fausses nouvelles qui inondent aujourd’hui les réseaux sociaux. Nous avons perdu la capacité d’authentifier la source des informations en raison de la multiplication et de la fragmentation des canaux d’information. Cette perte complique d’autant plus la vérification des faits, explique le psychanalyste. "Ce qui compte désormais, c’est la viralité de l’information, bien plus que son exactitude. Et cela, c’est dramatique, car cela engendre de la violence."
C’est l’altération de notre capacité à dire le monde, à le rationaliser et à le partager de manière sensible.
Roland Gori souligne également le danger des commentaires haineux anonymes en ligne. "C’est l’altération de notre capacité à dire le monde, à le rationaliser et à le partager de manière sensible." Il appelle à prendre soin du langage, qui a une valeur de révélation et de transmission. Le poète René Char l’exprimait ainsi : "Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux."
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