À la tête du pays depuis 20 ans, l’omnipotent président Recep Tayyip Erdogan peut-il être éjecté ? Il brigue un 3e mandat et pour la première fois l’issue du vote est incertaine. L’opposant Kemal Kiliçdaroglu
C’est un contexte électoral inédit pour Erdogan. En perte de vitesse dans cette campagne présidentielle, les sondages donnent quelques longueurs d’avance à l’opposition. La Turquie est enlisée dans une profonde crise économique. « L’inflation est à deux chiffres. Sans oublier la dévaluation de la livre turque qui affaiblit le pouvoir d’achat des Turcs et le chômage est en hausse » explique Nicolas Monceau, maître de conférences à l’Université de Bordeaux et spécialiste de la Turquie. A cela, s’est ajouté la mauvaise gestion du terrible séisme du 6 février dernier qui a mis en lumière la corruption de certains élus de l’AKP en lien avec des promoteurs immobiliers, peu regardants sur les normes parasismiques. Arrivé au pouvoir en 2002, Erdogan n’a cessé de donner des tours de vis autocratique depuis 2013 et surtout 2016 avec le coup d’Etat raté, puis l’instauration de l’état d’urgence et des purges massives dans l’armée et l’administration. La question de l’Etat de droit et des libertés fondamentales sont donc au cœur, une ligne de fracture entre deux types de régimes.
L’opposition s’est fédérée autour d’un seul homme : Kemal Kiliçdaroglu président depuis 2010 du parti républicain du peuple, de centre-gauche et laïc (historiquement le parti d’Atatürk). Il a rassemblé une coalition de six parti autour du crédo « tous contre Erdogan » en promettant un retour vers une Turquie démocratique. « C’est une coalition hétéroclite composée qui va de la gauche aux conservateurs avec aussi des nationalistes et des religieux islamistes » précise Nicolas Monceau. Kemal Kiliçdaroglu n’est pas non plus un nouveau venu. «C’est un homme politique d’expérience et sa grande force, c’est son calme par rapport à Erdogan qui est belliqueux» décrit Didier Billon, directeur adjoint de l’IRIS géopolitologue, spécialiste de la Turquie. « Par rapport à Erdogan, c’est quelqu’un de très calme, mais de très forte conviction. Sur le fond, il a une volonté de travailler avec toute les composantes de la société turques. Depuis de nombreuses années, il a prouvé qu’il était intransigeant sur la défense des libertés individuelles». Durant la campagne Kemal Kiliçdaroglu a d’ailleurs beaucoup évoqué le sort des minorités. Il est aussi de confession alévie une frange chiite de l’islam plutôt libérale. «Tout le monde savait qu’il était alévie. Mais en parlant ouvertement durant cette campagne, il a brisé un tabou. Coupant l’herbe sous le pied d’Erdogan qui lui est sunnite et qui a toujours de manière voilée pointé les origines de son adversaire », précise Jean Marcou, enseignant à Sciences-Po Grenoble et chercheur associé à l'IFA d'Istanbul. Le leader de l’opposition a d’ailleurs aussi le soutien du principal parti kurde sans qu’il ne participe à la coalition. « C’est un point essentiel pour espérer l’emporter, les kurdes représente 15 à 20% de la population » souligne Didier Billion.
Grand orateur, Erdogan a vu pourtant sa campagne entravée par des problèmes de santé le forçant a annuler des meetings et à interrompre une interview en direct. Jeudi, Muharrem Ince, chef du parti Memleket, a annoncé son retrait de la course à la présidentielle, amenuisant mathématiquement encore un peu plus les chances du président sortant de l’emporter. Pour autant, Erdogan n’a pas encore perdu. « Son assise électorale est encore forte » rappelle Didier Billion. « Dans la dernière ligne droite de la campagne Erdogan a aussi accéléré avec de nombreuses promesses électorales en particulier des hausses de salaires » ajoute Nicolas Monceau. Plane aussi le risque de fraudes, notamment dans les zones touchées par le séisme du 6 février où l’organisation du scrutin est problématique.
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