Commentaire liturgique - 2ème Dimanche de Carême ATout dans les textes de ce jour va nous parler du regard.
Le regard, c’est ce qui se découvre à nous, mais c’est aussi ce qui se révèle. Ce qui se découvre, c’est ce que nous pouvons voir, et ce qui se révèle, c’est ce qui nous apparaît.
Commençons par l’épisode de l’appel d’Abraham.
Dieu lui dit : « Quitte ton pays … et va vers la maison de ton père ». Etrangement l’expression biblique devrait être traduite littéralement par : « Va vers toi-même ». Dieu ne dit pas à Abraham : « Viens vers moi ». Ni même : « Monte vers moi ». Dieu est celui qui appelle l’homme vers l’homme. L’appel est : « Va vers toi-même », c’est-à-dire « Deviens qui tu es ».
Après l’appel particulier adressé à Abraham, saint Paul va nous parler de l’appel universel adressé à tout homme quel qu’il soit. Il s’agit ici d’entendre que le regard de Dieu sur chacun vient révéler ce que chacun est au plus profond de lui-même.
« Dieu nous a appelés à une vocation sainte … à cause de sa grâce », écrit saint Paul.
La vocation est n’est donc pas de devenir un autre, mais de réaliser chacun ce que nous avons de plus personnel. Rappelons-nous : « Va vers toi-même ».
Lorsque les disciples sont montés sur le Thabor, ils ont vécu une expérience de transfiguration : « le visage de Jésus devint brillant comme le soleil » nous dit le texte.
Nouvelle expérience du regard : on peut parler ici que le regard n’est pas de prendre l’image, mais de recevoir l’image. Ce qui vient vers nous dépasse ce que nous avions imaginé. C’est une expérience de révélation. A nos yeux, l’autre devient le tout-autre.
C’est par excellence l’expérience de la foi.
Revenons à cette parole : « C’est mon regard qui habitera tes yeux ».
Le véritable regard ne possède pas l’autre, mais lui donne envie de se lever et de devenir soi. Regarder l’autre ne suffit pas. Le regard d’amour consiste à laisser advenir l’autre.
Reprenons l’extrait de la vocation d’Abraham.
« Va vers toi » : l’appel amoureux n’est pas possessif ; il libère en l’autre l’énergie et l’envie d’être pleinement lui-même. Il l’accompagne humblement vers sa plénitude.
Dans Genèse XII, 1, il y a une expression en hébreux que l’on a traduite par « Va-t-en, quitte ton pays », – c’est Dieu qui parle à Abraham -, ou encore « Va-t-en de ton pays, va-t-en loin de ta terre ». Dans un commentaire biblique de Marie Balmary, il y est dit que c’est la même expression que nous retrouvons dans le Cantique des Cantiques (II, 10 et 13) où c’est le Bien-Aimé qui parle: « Lève-toi, mon amie, ma belle, Va vers toi-même », et, là encore, on s’est longtemps contenté de traduire: « Viens-t’en ».
L’appel d’Abraham n’est pas tant « Quitte ton pays » mais « Va vers toi-même ».
Le véritable amour n’est pas de posséder l’autre, mais de lui donner envie de se lever et de devenir soi. Lacan ne dira pas autre chose : désirer l’autre ne suffit pas, l’amour consiste à désirer le désir de l’autre.
Va vers toi : l’appel amoureux n’est pas possessif ; il libère en l’autre l’énergie et l’envie d’être pleinement lui-même. Il l’accompagne humblement, pour être à ses côtés le fervent supporter, le puissant sponsor au service du rendez-vous de l’être aimé avec lui-même…
Va vers toi : on devine ce que cet appel peut changer dans la relation …
Puissions-nous comme Abraham nous mettre en route vers nous-mêmes, et transmettre cet appel à d’autres !
Invité : René Rouschop, membre du Service des Ministères des Assistants Paroissiaux et des Diacres, prêtre dans l’Unité-Pastorale Stavelot-Francorchamps.