Evangile du 22 février David BUICKUn seul mot au centre de cette lecture résume tout le reste : « hypocrites » ; littéralement, un acteur qui met en scène un personnage sans rapport avec sa vie intérieure. Personne d’entre nous n’est totalement « sans filtre », laissant passer au grand jour tout ce qui se vit dans notre for intérieur, et c’est tant mieux. Ce qui est évoqué ici, c’est plutôt le danger de croire, en quelque sorte, à notre propre propagande : de prendre l’image que nous projetons aux autres comme le véritable miroir de notre âme. Avec humour, ironie, et une justesse assez inconfortable, Jésus pointe du doigt le nœud du problème : ce que nous accomplissons « devant les hommes pour (nous) faire remarquer ». Dans un monde dominé par les réseaux sociaux et les influenceurs, l’image est tout, le paraître devient plus important que l’être ; dans les rêves des architectes du métaverse , il réussirait à se substituer même à « la vraie vie ». Face à cette pression quasiment insurmontable sur nous pour accomplir « devant les hommes », le Seigneur oppose à six reprises un autre mot-clé : le secret. En invitant notre main gauche à ne pas savoir ce que fait notre main droite, il nous demande sinon d’ignorer les bonnes œuvres que nous pourrions faire, tout au moins de ne pas en faire grand cas et si possible d’en faire abstraction : que ces bonnes actions nous soient aussi inconnues que si elles étaient accomplies par quelqu’un d’autre ; au lieu de les faire valoir sur la place publique, nous sommes appelés à les garder en toute confidentialité. Cette exhortation au secret n’est pas destinée uniquement à nous rendre discrets : elle touche aussi à nos motivations. Jésus pointe le fait que l’hypocrisie prend racine dans ce que nous faisons « pour devenir justes ». Je l’imagine bien dire cela avec le sourire en coin, car en réalité il nous est impossible de devenir justes de cette façon. L’apôtre Paul nous dit que devenir juste n’est pas une question d’ « œuvres, afin que personne ne se glorifie » (Eph 2,9). Si Jésus insiste tant sur le secret, ce n’est pas simplement pour nous empêcher d’être d’insupportables vantards ; c’est aussi et surtout pour que dans cette face-à-face intime avec Dieu (qui lui se fiche royalement de nos comptes Instagram et autres car il connaît notre cœur), que dans ce secret nous prenions conscience que c’est par la grâce et la grâce seule que nous sommes rendus justes devant Dieu ; nous ne pouvons pas nous appuyer sur nos propres bonnes œuvres, pas plus que sur celles du voisin. C’est dans ce secret que Dieu peut travailler en nous pour déraciner le désir d’agir uniquement pour « paraître ». C’est une intervention douloureuse (surtout pour notre orgueil...) mais à trois reprises Jésus nous promet que notre Père nous « le rendra » – en nous faisant découvrir la merveilleuse liberté de la grâce