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Mgr Matthieu Rougé : « Aucune caricature ne justifie la violence et à fortiori la mort »

Mgr Matthieu Rougé : « Aucune caricature ne justifie la violence et à fortiori la mort »

Un article rédigé par La Rédaction - RND, le 10 juin 2024 - Modifié le 10 juin 2024
Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, était l’invité d’Yves Delafoy pour parler de son livre Un sursaut d’espérance paru aux éditions de l’Observatoire. En ces temps difficiles, l’évêque appelle à transformer la crise en occasion d’aller de l’avant. Entretien.
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Monseigneur Rougé, concernant l’attaque terroriste à Nice tout d’abord, quel a été votre sentiment lorsque vous avez appris cet attentat, pensez-vous que ce soit l’identité même de la France qui a été visée par ce jeune homme qui se revendiquait de l’islamisme ?  

"J’ai été bouleversé bien sûr, c’était il y a une semaine exactement, jeudi matin, et l’information est tellement volatile aujourd’hui que l’on pourrait très vite oublier ce qui s’est passée. Ces deux femmes et cet homme sont morts martyrs. Non pas comme on l’a dit parfois dans certains médias martyrs de la laïcité mais martyrs de la foi au Christ, de la prière. Et je reste bouleversé par ce meurtre extrêmement violent, mais aussi habité très profondément par la prière, pour que Dieu vienne désarmer tous les coeurs et ouvrir des chemins de paix. Et puis je pense que malgré tous les sujets d’actualité, il faut réfléchir de près à ce qui conduit à cette dérive violente et atroce et aux moyens que l’on peut, par l’éducation, par la réaffirmation de ce qui est essentiel pour nous, lutter contre ce type de violence extrême"

Comprenez-vous que cet attentat ait pu générer une véritable colère de la part de bons nombre de catholiques, une colère qui a été peut-être trop vite épongée par des discours appelant à l’unité et au calme? 

"Je ne pense pas avoir entendu beaucoup de colère, ce n’est pas le mot que j’aurais choisi. Je pense que j’ai entendu beaucoup beaucoup d’émotion, émotion qui a été partagée par les non catholiques, les non pratiquants, par tout ceux qui vivent dans notre pays. Je pense qu’il y a une sorte d’unanimité de l’émotion. Comme chrétiens nous savons que la juste et forte réponse à la violence ce n’est pas la violence en retour, c’est l’esprit de paix et l’esprit d’espérance"

Une espérance au coeur de l’ouvrage que vous venez de faire paraitre, Mgr Rougé. Une espérance en lien avec la notion de liberté, une liberté aux accents bernanosiens. Considérez-vous que les caricatures et notamment celles de Charlie Hebdo concourent à une saine pratique de la liberté, qu’il faut encourager leur diffusion ?

"Ce que je crois important c’est de réaffirmer qu’aucune caricature ne justifie la violence et à fortiori la mort. Ensuite, il est important de comprendre que les caricatures puissent profondément blesser, voir mettre en colère, il faut le comprendre et le reconnaitre. Et en même temps, aucune colère, à nouveau, ne justifie la violence et la mort. Enfin, je pense que pour lutter contre les dérives de violence dans notre pays, réaffirmer la liberté d’expression est nécessaire mais pas suffisant. Il faut aussi former positivement au bon, au vrai, au bien, à tout ce qui réunit. Et de fait, je pense que les caricatures ce n’est pas le mode le plus constructif pour la vie en société. C’est important qu’elles puissent exister, mais le plus important c’est aussi d’avoir une culture du respect et de la bienveillance. Cela dit, je pense que tout ceux qui veulent s’abstenir et j’en suis, de caricatures obscènes et violentes peuvent s’abstenir aussi d’acheter et de lire les publications qui les diffusent."

Vous sentez-vous sur la même ligne que Mgr Le Gall, archevêque de Toulouse, qui estime que la diffusion des caricatures religieuses ne fait que remettre de "l’huile sur le feu" ? 

"A titre personnel, je crois très important en ce temps de dire que la liberté n’est pas le problème mais la solution. Bien sûr, la liberté peut susciter des expressions blessantes, mais fondamentalement la liberté est notre horizon. Donc je ne suis pas de ceux qui pourraient justifier, pour calmer les esprits, des restrictions à la liberté. Je crois au contraire que comme chrétiens, nous avons à être des témoins de la liberté"

Quel type de liberté, car, et c’est une notion que vous rappelez dans votre ouvrage, nous vivons déjà dans un pays très libertaire ?

"La liberté et être libertaire, c’est différent. Etre libertaire c’est pouvoir faire tout ce qu’on veut quand on veut sans aucune structuration intérieure d’abord et puis collective d’autre part. Mais la liberté profonde c’est de pouvoir être libre par rapport à tout ce qui nous coupe des autres, qui nous coupe du vrai accomplissement de nous-même. C’est l’aventure d’une vie de devenir libre ! On est libre à la base, mais on le devient surtout en étant libéré de tout ce qui nous enferme. Donc la liberté c’est un mystère, une aventure. Mais des restrictions au cadre de la liberté ne contribuent pas à son épanouissement."

Le président Emmanuel Macron a revendiqué la liberté de blasphémer comme un droit fondamental, comprenez-vous ses propos ? 

"La liberté essentielle est la liberté d’expression, mais elle ne se résout pas à la liberté du blasphème ou de la caricature insultante. Mais elle peut être malgré tout présente dans le cadre global de la liberté d’expression importante à défendre. Les chrétiens n’ont pas peur de la liberté, ce que nous avons à partager avec tous, y compris nos frères et soeurs musulmans, c’est que l’adoration de Dieu et la liberté peuvent se rencontrer, peuvent se conjuguer, et ça c’est la grâce d’être chrétien"

Concernant la suspension des cultes, quels sont les arguments que vous aimeriez faire entendre au Conseil d’Etat pour défendre la réouverture des messes aux fidèles ?

"Se retrouver à la messe c’est quelque chose d’essentiel pour les catholiques, ce n’est pas quelque chose de secondaire; la vie chrétienne a besoin du rassemblement eucharistique pour pouvoir s’accomplir pleinement, que un temps d’épreuves comme celui que nous vivons renforce encore, en particulier pour les plus pauvres, le besoin de se retrouver fraternellement pour la célébration de l’eucharistie, encore une fois nous sommes près à toutes les adaptations nécessaires à la sécurité sanitaire. Et enfin si on peut continuer à faire ses courses et à aller a l’école, il n’y a pas de raison que l’on ne puisse pas se retrouver pour la célébration des sacrements"

Les diffusions de la messe à la radio et à la télévision ne peuvent pas se suffirent à elles-mêmes ?

"Je ne crois pas à une numérisation intégrale de la foi. Je dis ça dans le livre plusieurs fois, autour de la question de la place du corps dans la liturgie, fondamentale dans notre religion de l’incarnation. De même que le télétravail ne peut pas être une solution globale pour la vie économique, de même que le télé-enseignement ne peut pas être une solution globale pour la transmission des savoirs, la célébration à distance ne peut pas être ajustée à la véritable célébration de la foi qui passe par le fait d’être corporellement rassemblés parce que nous sommes des hommes et des femmes de corps et de coeurs, faits pour la communion sensible, visible, vraiment expérimentée."

Cette incompréhension de certains politiques viendrait-elle  d’un manque de culture ou de culture religieuse ?

"Un certain nombre de responsables politiques ont très peu d’expérience personnelle et n’imaginent pas à quel point la vie liturgique peut être décisive et donc il faut l’expliquer.  Ce que je dis dans le livre c’est que la crise sanitaire est révélatrice, elle met en lumière beaucoup de réalité de notre époque. Au-delà de la crise sanitaire, on a la révélation de fractures, de ruptures, de fermetures… et donc des ouvertures, des explications à mettre en place de manière nouvelle. Il y a une certaine marginalisation de l’appartenance religieuse dans la société française qui n’est pas d’hier mais qui se renforce, ce qui veut dire que nous avons à faire un travail d’approfondissement spirituel et théologique en interne et puis de pédagogie en externe. Mais, si les politiques ont parfois un déficit de culture religieuse, il arrive que les croyants aient un déficit de culture politique, et par exemple, le recours au Conseil d’Etat, ce n’est pas une démarche agressive, c’est simplement, et on verra ce qui en ressort, demander l’arbitrage du droit qui contribue à la paix"

L’église et les lieux culturels ne souffrent-ils pas de la panique qui s’est emparée de bons nombre de nos concitoyens ? 

"La panique est toujours quelques chose de très angoissant, il y a une espèce de peur globale qui emporte tout. Je cite dans mon livre un mot de Maurice Druon, auteur des rois maudits, à qui j’ai dédié ce livre avec Jean d’Ormesson. (…) Il parle de la panique de l’exode : « la panique sème le trouble partout, même ceux qui n’ont rien à craindre s’en vont ». Je crois que nous avons aujourd’hui à ne pas entrer dans une espèce de panique qui viendrait de la diffusion d’une peur. La peur est toujours mauvaise conseillère. Ce que nous vivons aujourd’hui est inquiétant à bien des égards, mais nous avons à réagir à l’inquiétude par la réflexion, la prière et le dialogue, sans nous laisser aller à la panique et à la peur."

Monseigneur Rougé, comprendriez-vous que certains prêtres aillent jusqu’à la désobéissance civile et ouvrent leurs églises aux fidèles leur permettant ainsi d’aller à la messe ? 

"Je pense surtout que nous avons à repérer les vrais enjeux spirituels. Ce qui nous fait le plus peur aujourd’hui c’est la mort. Ne rentrons pas dans un combat de tranchées, entrons dans un combat spirituel, dans le combat de la foi. Aujourd’hui nos contemporains et même parfois les chrétiens, oublient que la vie terrestre ce n’est pas le tout de la vie. La vie terrestre est faite pour la vie éternelle. Ce que j’appelle le bel horizon du déconfinement de gloire. Ayons la patience du déconfinement liturgique, mais prêchons davantage encore le déconfinement de la gloire éternelle, c’est le sens de notre vie terrestre !"

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