"Je prends la parole parce que c'est mon devoir comme évêque d'abord, comme président de la Conférence des évêques de France ensuite, c'est mon devoir parce que l'Abbé Pierre était une figure emblématique pour énormément de gens" explique Mgr Eric de Moulins-Beaufort au micro d'Etienne Pépin. Une prise de parole qui intervient après la publication vendredi dernier d'un rapport révélant vingt-quatre témoignages de femmes accusant l'Abbé Pierre de violences sexuelles. C'est ce qui a poussé l'Eglise de France à ouvrir ses archives, "normalement, il y a un délai de 75 ans à compter de la mort du prêtre, rappelle le président de la Conférence de France, avant qu'elles ne puissent être consultées. Mais nous avons décidé qu'on pouvait ouvrir ces archives aux chercheurs, en particulier à la commission qu'Emmaüs a décidé de constituer."
Qu'apprend-on ? Le dossier est assez mince, constitué de quelques lettres où l'on apprend que l'Abbé Pierre est envoyé en Suisse pour se "soigner". Dès 1950, son attitude est signalée, il est visé par un sextum (manquement à la chasteté dans le droit canonique) ; on lui adjoint alors un assistant pour l'accompagner et le surveiller. En 1957, il est envoyé de force dans une clinique psychiatrique en Suisse. En 1958, l'archevêque de Paris, le cardinal Maurice Feltin, écrit au gouvernement pour le décourager de décorer l'Abbé Pierre de la Légion d'honneur, le décrivant comme malade. "Jusqu'en juillet dernier, je ne savais rien de tout cela, raconte Mgr de Moulins-Beaufort, je l'ai su parce que ça a été médiatisé vers la fin de sa vie. (...) et aucun évêque aujourd'hui en fonction n'avait plus de 10 ans à cette époque-là, donc nous ne savions rien de tout cela." La grande difficulté pour l'Eglise était l'impossibilité de le contrôler puisqu'à Grenoble il n'avait ni clocher, ni presbytère, et que bien qu'incardiné dans ce diocèse, l'évêque de l'époque n'avait, semble-t-il, aucune autorité sur lui.
Le 1er février 1954, l’abbé Pierre lance un appel radiophonique aux politiciens. Cet hiver-là est rude, avec des températures descendant en dessous de -15 degrés dans toute la France. L'Abbé Pierre, ancien député du Mouvement républicain populaire, décide de parcourir Paris avec des camarades pour venir en aide aux sans-abri et aux plus démunis. Ce même jour, il lance un appel poignant à la radio : « Mes amis, au secours... ». Cet appel déclenche une immense vague de solidarité envers les sans-abri. En 1987, la "Fondation Abbé Pierre" voit le jour, avec pour mission "d'agir pour permettre à toute personne défavorisée d'accéder à un logement décent et à une vie digne " Au fil des décennies, l'abbé Pierre est perçu comme un homme de compassion, de détermination, doté d’un charisme naturel et d'une spiritualité profonde. Comment, dans ce contexte, faire entendre à tous que l'initiateur de "l'insurrection de la bonté" est un agresseur violent ?
"Ce qui est impressionnant, poursuit le président de la Conférence de France, c'est que des femmes n'ont pas pu parler à cette époque. Nous pouvons constater, c'est qu'aujourd'hui, il est enfin possible de parler. Je crois quand même que les décisions prises par l'Église catholique, avec notamment la CIASE, sous la pression, il faut le reconnaître, de la Parole Libérée. Mais néanmoins, nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs qui permettent à des personnes qui ont été agressées de parler. Ce qui n'était pas possible en 1956, 1957, 1958, l'est aujourd'hui."
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