Hubert VÉDRINE, ancien ministre des Affaires étrangères, au cœur du pouvoir pendant vingt ans, sous François Mitterrand et la cohabitation Jospin/Chirac, consultant international, passionné d’Albert Camus. Auteur du Dictionnaire amoureux de la géopolitique (Fayard)
Hubert Védrine fait (re)paraître son Dictionnaire amoureux de la géopolitique, avec davantage d’entrées historiques et un tiers des analyses remaniées, eu égard à l’évolution de l’état du monde. Cet opus laisse une grande part à la subjectivité, comme l’indique l’épithète “amoureux”. N’en déduisons pas qu’il renonce au sérieux de l’analyse ; nous avons tant besoin de lucidité pour retrouver la maîtrise de notre destin. Dans le nouvel entretien qu’il accorde à Radio Notre Dame, Hubert Védrine évoque les perspectives du règlement du conflit ukrainien, de Donald Trump “impensable mais vrai”, de l’urgence pour les Européens de s’organiser par eux-mêmes, de la fermeture de C8 et du pape François.
Issu de la gauche chrétienne, au cœur du pouvoir pendant vingt ans (sous François Mitterrand et la cohabitation Jospin/Chirac) Hubert Védrine développe une pensée réaliste qui contredit les illusions du droit de l’hommisme porté par une gauche morale dont la myopie et le sectarisme ont fait le lit du Front puis du Rassemblement national.
L’ancien ministre s’amuse et s’agace de la sidération des Européens devant le retour d’un Donald Trump qui n’hésitera pas à dire ce qu’il fait et à faire ce qu’il dit. Les Européens doivent en prendre acte, eux qui se reposent depuis Yalta sur le protecteur américain. Du Portugal, Emmanuel Macron exhorta les Européens à refuser la “vassalisation heureuse” vis-à-vis des États-Unis. Pour Hubert Védrine, les mois à venir risquent d’être “historiques” pour le Vieux continent, lequel joue une partie de son destin sur des choix sécuritaires : faudra-t-il envoyer des troupes en Ukraine pour y maintenir la paix ? Avec quelle garantie de sécurité de la part de l’Oncle Sam si jamais la Russie de Vladimir Poutine se remet à bouger ?
De fait, l’Amérique fait entrer le monde dans une zone de turbulences inédites. Car, oui, disons-le, Donald Trump était “impensable mais vrai”. Jusqu’aux résultats de l’élection présidentielle US, les media disaient que le scrutin allait être serré. La réalité a démenti cette prédiction, Donald Trump ayant été triomphalement élu. Sa victoire le conduit à réajuster la politique extérieure, à rompre avec le soutien inconditionnel au pouvoir ukrainien. Le camouflet infligé vendredi à Volodymir Zelenski, à la Maison-Blanche devant les caméras du monde entier, sera lourd de conséquences. L’homme fort de Kiev, comme l’a rappelé Antoine Assaf ce matin, n’a pas pris la mesure de ce que signifiait sa présence dans le bureau ovale. Il a oublié de se montrer reconnaissant envers l’Amérique pour les milliards d’aides déversés par le contribuable US. Ni une ni deux, Zelenski a été chassé de la Maison Blanche par un Donald Trump furieux menaçant de le "laisser tomber" s'il ne faisait pas la paix avec la Russie aux conditions proposées. Ainsi vont les relations internationales “managées” par le président américain. Lech Walesa, icône de la lutte contre le communisme en Pologne, s'est dit "effrayé et dégoûté" par l'accueil réservé à Washington à son homologue ukrainien, qui rappelle selon lui les "interrogatoires" menés jadis par les services communistes. En réaction, le Prix Nobel de la paix 1983 a adressé à Donald Trump une lettre ouverte, cosignée par une quarantaine d'anciens prisonniers politiques du régime polonais.
Donald Trump impose un nouveau réalisme aux relations internationales. Volodymyr Zelenski pourra-t-il seulement compter sur des pays européens dont il sait que leur appui est surtout moral ? Rien ne se fait sans la puissance. C’est la leçon de cette fable. La puissance est la matrice de la géopolitique. Bien que cette discipline soit présumée aride et inaccessible au plus grand monde, celle-ci conditionne nos vies et notre avenir. Une bonne raison pour lire Hubert Védrine, plus utile que jamais.
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