À une semaine du quatrième anniversaire du déclenchement de l’invasion russe, l’Ukraine est au cœur des préoccupations internationales. Le Conseil de sécurité de l'ONU se réunit aujourd’hui à New York à ce sujet. En parallèle, plusieurs États membres de l’UE se rassemblent à Paris. Les déclarations et la nouvelle position des États-Unis bouleversent les alliances et accélèrent le fonctionnement des instances internationales. Pour bien comprendre ce qu’il reste de la gouvernance internationale, Cécile Mérieux reçoit le général Vincent Desportes.
L’Ukraine va entrer ce 24 février dans sa 4ème année de la guerre déclenchée par l’invasion russe. Son président Volodymyr Zelenski y a exhorté ses alliés européens à éviter un accord forgé avec les américains dans le dos de Kiev et de l’Europe. Est-ce cela le nouvel ordre mondial ?
Je ne sais pas, mais ce qui est sur ce que l’ordre mondial auquel nous étions habitués qui a été créé par les américains en 1945 a aujourd’hui perdu énormément de sa pertinence parce qu’il a été démantelé en quelque sorte de manière volontaire tant par les Etats-Unis que la Chine, que la Russie. Aujourd’hui son organisme principal qui est le conseil de sécurité est complètement bloqué puisque tour à tour ceux qui ont le droit de véto : la Russie, la Chine, les Etats-Unis le bloque, ce qui fait qu’il n’y a plus de résolution.
En son sein, on trouve les Etats-Unis et la Russie, mais alors qu’est-ce que cette assemblée peut encore faire émerger aujourd’hui ? Est-ce qu’elle peut quand même remplir son rôle ?
Je ne crois pas justement et c’est bien une difficulté. La SDN, la Société des Nations qui avait été créée après la Première Guerre mondiale pour empêcher la deuxième, ne l’a pas empêché et a disparu. Je pense que pour l’ONU ce sera exactement la même chose. Tous les éléments de l’ONU ne disparaîtront pas, mais son fonctionnement, son conseil de sécurité seront modulés.
Il est très complexe de modifier, de changer l’ONU, cela fait des années, des décennies qu’on cherche à redonner la représentativité à cette instance, mais comme il faut l’unanimité des voix au conseil de sécurité, et cela ne c'est jamais fait. Elle disparaîtra et quelque chose de nouveau surgira.
Elle surgira de la volonté des peuples. Dans cette affaire-là si l’Europe n’existe pas, si elle est faible comme elle l'est aujourd’hui, dans ce cas, les nouvelles organisations se feront sans elle. C’est pour cela qu’il est absolument urgent que l’Europe parle d’une même voie et se mette d’accord sur sa propre vision du monde. Il est donc très important qu’aujourd’hui se réunisse à Paris une espèce de directoire de l’Europe de manière à redonner une vision et une capacité de direction pour l’ensemble des pays européens.
Les causes de la défaillance de la gouvernance mondiale remontent bien avant l'arrivée de Donald Trump au pouvoir. Cette gouvernance mondiale a été créée par les vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale à un moment où il y avait une alliance entre la Russie et les Etats-Unis et à un moment où les Etats-Unis représentaient 51% du PIB mondial. C’est-à-dire qu'ils étaient vraiment représentatifs en terme économique et partiellement en terme de population.
Maintenant, c’est terminé. L’Occident qui a créé ce système n’a pas perdu sa puissance mais n’a plus de monopole de puissance. La puissance de tous ces pays qui n’ont pas créé ce système est supérieure. Aujourd’hui, l’Occident, représente 17 % de la population mondiale, le reste du monde représente donc 83%. En termes d’économie, l’Occident c’est 1/3 du PIB et le reste du monde, c’est 2/3 du PIB mondial. On voit, qu’il y a eu un rééquilibrage et désormais que c’est l’institution qui représente de moins en moins les équilibres réels dans le monde.
Trump va jouer un rôle important dans cette nouvelle gouvernance mondiale puisqu'il a balayé d'un revers de la main les tendances actuelles. Il explique qu'aujourd'hui, ce sont véritablement les rapports de force qui priment. Son credo va donc à l'encontre de tout ce que nous avons créé, de tout ce que à quoi nous européens, nous croyons. Nous sommes donc menacés dans notre existence et dans nos valeurs.
Ce qui est nouveau est que jusqu’à présent nous comptions sur une Europe à 27 pour régler les affaires, mais cela ne fonctionne pas parce que l’élargissement qui a été fait bien avant l’appauvrissement de l’Europe a fait que finalement l’Europe s’est dissipée dans l’espace et n’existe pas. Il faut absolument reprendre cela et qu’il y ait un directoire, un euro-groupe qui dirige fermement l’Europe. Les pays qui seront demain à l’Elysée sont les pays les plus importants en termes de puissance économique et de population. Ces 6 pays vont parvenir à dessiner quelque chose, à donner une direction, à donner un objectif. Cela permettra enfin à l’Europe d’avoir une position commune et d’être présente surement dans ces négociations qui vont avoir lieu, qui la concernent en premier lieu. Il est évident que l’Europe doit y être, mais n’y sera pas, si elle ne sait pas parler avec une seule voix, un seul objectif et une vision commune.
Je pense, et quelque part, qu'il faut remercier le président Trump qui va nous obliger à nous retrouver face au précipice. D’où la réaction ce matin du directoire qui se réunit aujourd’hui, et donc effectivement, la façon dont nous avons existé n’a pas permis à l’Europe de parler d’une seule voix. Je pense qu’à partir d’aujourd’hui nous sommes poussés par Trump et vers la création d’une véritable autonomie stratégique de l’Europe, et c’est véritablement ce que la France demande depuis des années et que le général de Gaulle a recherché au début des années 60.
Le général Vincent Desportes croit que nous allons vers une évolution profonde et espère qu’elle aboutira à une Europe enfin adulte, enfin acteur géopolitique dans un monde en ébullition.
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